Le Tribunal de Commerce de Paris a rendu le 24 novembre 2006 un jugement à la motivation fort détaillée qui aborde à nouveau la question de la responsabilité des fournisseurs de liens publicitaires lorsqu’un annonceur utilise la marque d’un tiers.
En l’espèce le demandeur (sté One Tel), agissant à la fois contre l’annonceur (sté Olfo) et contre le prestataire de liens publicitaires (sté Google France et sté Google Inc, ci-après Google), invoquait les droits attachés à des signes distinctifs protégés par le régime de la concurrence déloyale : dénomination sociale, nom commercial et nom de domaine. En l’absence de marque, se trouve donc exclu le terrain de la contrefaçon, c’est-à-dire celui où les dissensions de la jurisprudence sur la responsabilité des régies publicitaires sont les plus aigües (cf. ce billet sur le pMdM).
Néanmoins la formulation de la motivation apporte un éclairage global intéressant. En effet, les décisions les plus récentes manquaient d’homogénéité et laissaient planer quelques doutes. Le jugement Gifam de juillet 2006 (frappé d’appel) avait même été jusqu’à imposer à Google une obligation générale de contrôle a priori de la licéité du choix de mots clés par ses clients annonceurs.
Le jugement de la 15ème chambre du Tribunal de Commerce de Paris réfute catégoriquement une obligation de contrôle systématique a priori tout en précisant que certaines circonstances peuvent néanmoins amener la régie à devoir exercer une vigilance accrue.
Aperçu des faits
Il est constaté qu’une recherche sur le terme « onetel » via le moteur de Google fait apparaître une annonce publicitaire incitant à contracter par le biais du site adsl-facile.org de la société Olfo, un abonnement aux services de neuf.fr, concurrent de la société demanderesse.
Google se voit reprocher d’avoir eu une attitude active dans la réservation du mot clé litigieux par l’annonceur en l’incitant, via son outil de suggestion de mots clés, à procéder ainsi.
La société demanderesse indique que Google est censé être conscient des droits existant sur l’expression « One Tel » dans la mesure où Illiad, société mère de One Tel, est « en relations d’affaires » avec le prestataire de liens sponsorisés notamment « dans le cadre du service Adwords« .
L’annonceur, premier responsable de l’usage des mots clés
Sans surprise l’annonceur voit sa responsabilité engagée.
On pourra noter que si le mot clé litigieux n’apparait pas dans le texte de l’annonce elle même, le tribunal retient qu’il en est néanmoins bien fait usage (solution déjà appliquée dans l’affaire Eurochallenge, dont nous avions publié le jugement, et qui a été confirmée sur le principe en en appel).
Cet usage résulte du choix des mots clés. Le tribunal retient que :
« sans procéder à une vérification [sur l’existence de droits au profit d’un tiers sur le terme litigieux, OLFO] a choisi ce mot parce que, dans le cadre du service « adwords », il lui permettrait de présenter sa publicité aux internautes intéressés par les activités de ONE TEL,
(…) ce faisant, OLFO mettait consciemment en place un lien visant à détourner une partie de la clientèle de ONETEL vers l’opportunité d’une conclusion de contrats avec NEUF TELECOM, c’est-à-dire avec un concurrent de ONETEL«
Cette utilisation constitue une atteinte aux droits de ONE TEL sur sa dénomination sociale, son nom commercial et son nom de domaine, caractérisant des actes de concurrence déloyale.
Entre quasi-évidence et effort disproportionné
Sur la responsabilité de Google en tant que régie publicitaire aux cotés de l’annonceur fautif, le tribunal admet qu’elle ne peut être systématiquement engagée.
Il est souligné qu’un contrôle systématique a priori de la licéité de la réservation de chaque mot clé par les annonceurs qui utilisent le système de liens publicitaire est chose impossible pour la régie, puisque :
– « d’une manière générale, l’exploitant [Google] n’est absolument pas en mesure d’effectuer un contrôle global, principalement parce qu’il n’est pas au courant des éventuelles conventions (de licence) intervenues entre les utilisateurs des identifiants concernés,
– Un contrôle systématique a priori sur tous les liens commerciaux ne serait également certainement pas pertinent car, outre sa lourdeur, il ne permettrait pas une approche proportionnée de ce qui est véritablement en cause,«
De façon générale, le tribunal énonce que :
– « GOOGLE ne peut toutefois, dans le cadre de son service « Adwords », être tenue responsable d’infraction à un droit de tiers que si elle a connaissance du caractère potentiellement illicite de l’utilisation du mot clé considéré et si, alors qu’il lui serait techniquement possible de le faire, elle ne mettait pas en valeur ce caractère auprès de son client pour contribuer dans la mesure de ses moyens à éviter une utilisation illicite dudit mot, »
Aussi, dans le cadre de son activité de régie publicitaire, Google n’est pas exonéré de toute obligation de vigilance. Il lui incombe, selon les termes du jugement, de procéder à un contrôle a priori de l’absence d’atteinte aux droits de tiers lorsque le risque lui apparaît « quasi évident« , ce que le jugement énonce ainsi :
– « le critère déterminant pour évaluer en l’espèce le caractère raisonnable de cette obligation de contrôle a priori du professionnel qu’est GOOGLE est de savoir si le risque d’atteinte à des droits de ONE TEL par l’utilisation de sa dénomination sociale, de son nom commercial ou de son nom de domaine peut être considéré comme étant à l’époque quasi évident pour GOOGLE, ou, au contraire, comme ne pouvant alors être constaté qu’au prix d’un effort disproportionné, »
En l’espèce, il est jugé que les droits de la société One Tel étaient réputés connus de Google du fait de l’existence de relations commerciales entre le groupe auquel la demanderesse appartient et la régie publicitaire. En conséquence l’attitude active de Google, liée à son outil de suggestion de mots clés, et l’absence d’avertissement à l’attention de son client (Olfo) « sur le fait que l’utilisation licite dudit mot est très vraisemblablement restreinte » engagent sa responsabilité.
Sanctions
Le tribunal relève que le lien publicitaire était accessible pendant 82 jours. Les juges estiment toutefois ne pas disposer de preuves suffisantes du préjudice. C’est pourquoi le montant des dommages et intérêts est fixé à une hauteur relativement modérée (20 000 euros). Leur charge pèse pour une moitié sur l’annonceur et pour l’autre sur Google. Des mesures de publications sont également ordonnées, sur les sites des défendeurs et dans des revues.
> Télécharger la copie du jugement (.pdf) :
TC PARIS 24 novembre 2006.pdf
Voir aussi à propos de ce jugement, le billet d’Etienne Wery sur droit-technologie.org.