Etude : Les nouveaux points chauds du cybersquatting

Le 16 mars dernier, l’OMPI a publié les statistiques de la procédure UDRP pour l’année 2008 : pour la 6ème année consécutive on observe une augmentation du contentieux (+8%), avec plus de 2300 procédures initiées par les titulaires de marques.
Si l’efficacité des mécanismes alternatifs comme l’UDRP (procédure extrajudiciaire de résolution des conflits de noms de domaine) ne se dément pas, n’oublions pas qu’ils sont limités aux extensions génériques (.com, .net, .org…) et à quelques extensions nationales seulement.

Or, depuis plusieurs années, ce sont les extensions nationales qui ont la faveur des spéculateurs. Les zones les plus sensibles sont celles dont les conditions d’enregistrement sont souples ou viennent d’être libéralisées (ce fut le cas de la France en 2004 et en 2006).

Parmi les pays les plus exposés au cybersquatting actuellement, on retrouve logiquement ceux dans lesquels la progression des enregistrements est la plus forte, au premier rang desquels figurent la Chine, la Russie et l’Inde.

VoxPI vous invite à découvrir une étude exclusive en trois parties sur les nouvelles places fortes du cybersquatting mondial.

Comment gérer un conflit de nom de domaine dans ces pays ? Quels sont les pièges à éviter ? Quelle stratégie pour gagner ?

1er volet : la Chine, nouvel empire du cybersquatting

1 million de noms de domaine enregistrés en décembre 2005, plus de 14 millions aujourd’hui, le « .cn » (et tous ses dérivés « .com.cn », « .net.cn », translittérations et mots clés internet) est la première extension nationale très loin devant le « .de » Allemand.

cyber-criminalite-chineCe succès est dû au registre national (CNNIC) qui met en œuvre depuis 2 ans une politique ambitieuse d’incitation à l’origine des dépôts massifs de noms de domaine par les ressortissants chinois et des campagnes de démarchages frauduleux plus connues sous le nom de « slamming » par des revendeurs indélicats.

Or, parmi ces enregistrements, on relève un nombre considérable de noms imitant des marques appartenant à des sociétés occidentales.

Que faire lorsque sa marque a été déposée à titre de nom de domaine dans une extension chinoise ?

  • l’avertissement : une démarche aléatoire

S’il est encore possible d’obtenir la rétrocession d’un nom de domaine par l’envoi d’une lettre de mise en demeure, force est de constater que le sentiment d’impunité grandit chez les cybersquatteurs chinois et rend aléatoire l’issue d’une tentative de règlement par la voie de la négociation.

  • la négociation : avantages et inconvénients

En revanche, le rachat d’un nom de domaine usurpé peut s’avérer être une solution intéressante tant le pouvoir d’achat des Chinois (salaire moyen inférieur à 300 €/mois) rend encore les prix du second marché « attractifs » (moins de 1000 € en moyenne).

La négociation sera d’autant plus efficace si elle est menée sous couvert d’anonymat.

Il convient néanmoins de rappeler que les formalités administratives de transfert de propriété d’un nom de domaine en « .cn » sont assez lourdes et nécessitent la transmission au registre CNNIC de formulaires originaux signés par le cédant et par le cessionnaire. Ce qui peut rendre périlleux le choix du rachat, ne serait-ce qu’en raison des difficultés de communication entre les parties.

  • l’intervention : évaluer et choisir la voie d’action appropriée

Mais bien souvent, le spéculateur reste inflexible aux menaces ou aux offres financières. Parfois aussi, le titulaire de marque souhaite obtenir une décision en Chine pour renforcer ses droits de propriété industrielle dans l’un des pays majeurs de l’économie mondiale.

On peut alors choisir d’assigner devant les juridictions judiciaires, ou préférer la voie extrajudiciaire, la Chine s’étant dotée d’une procédure de résolution des conflits inspirée de l’UDRP : la CNDRP administrée par deux centres d’arbitrage, le CIETAC et le HKIAC.

La voie judiciaire peut s’avérer efficace bien que coûteuse, mais elle réserve également des surprises comme celle vécue par le géant de l’industrie pharmaceutique GlaxoSmithKline fin 2008.

Sur le terrain extrajudiciaire, la prudence est de mise car la CNDRP présente des différences essentielles avec l’UDRP qui vont bien au-delà de la langue de procédure!

Parmi les bonnes nouvelles, le fait que la procédure puisse être engagée sur le fondement d’une dénomination sociale (article 8 de la charte CNDRP), et pas uniquement sur l’existence d’une marque comme c’est le cas pour l’UDRP (article 4a) de la charte UDRP. D’ailleurs, de nombreuses procédures CNDRP reposent exclusivement sur la raison sociale du requérant.

Toutefois, il est fondamental de démontrer un usage commercial réel, voire soutenu de la dénomination sur laquelle on revendique des droits pour espérer prospérer dans son action. Il est même vivement recommandé de bénéficier d’une certaine réputation en Chine pour convaincre un expert désigné dans le cadre d’une CNDRP, alors que la marque invoquée à l’appui d’une UDRP n’a même pas besoin d’être protégée dans le pays où est établi le défendeur!

S’agissant de la mauvaise foi du déposant, la CNDRP requiert l’établissement d’une preuve tangible, et non d’un simple faisceau d’indices : autant considérer qu’il existe une présomption de bonne foi au profit du défendeur.

Conséquence ? La détention passive (« passive holding ») du nom de domaine n’est pas en soi une circonstance de mauvaise foi et l’appréciation des experts sur ce point est particulièrement stricte.

L’offre du nom de domaine par son titulaire sur une plateforme de vente en ligne n’est pas non plus illicite en tant que telle, mais une proposition spécifique faite au titulaire de droit de propriété industrielle en réponse à une lettre de mise en demeure s’analyse comme une circonstance de mauvaise foi.

En revanche, l’activation d’un site de jeu en ligne sera systématiquement considérée comme un usage frauduleux dans la mesure où il s’agit d’une activité prohibée en Chine, de même pour un site à caractère pornographique (bien que les hypothèses soient rares tant les autorités chinoises sont répressives en la matière).

Sur le plan procédural enfin, il convient de rappeler que la CNDRP se prescrit par deux ans à compter de la date d’enregistrement du nom de domaine litigieux (article 2 de la charte CNDRP). Passé ce délai, les titulaires de droits devront agir devant les tribunaux judiciaires.

Enfin, si la CNDRP présentait jusqu’ici un avantage sur le plan économique (frais de procédure de RMB 4000 soit environ 430 € pour un nom en litige avec désignation d’un expert unique, RMB 6000 ou 650 € pour 2 à 5 noms), à compter du 6 avril 2009, le CIETAC doublera le montant de toutes les taxes de procédures.

Les cybersquatteurs bien informés de cette nouvelle grille tarifaire devraient en tenir compte et augmenter leurs offres de vente aux titulaires de droits.

Par conséquent, il est recommandé aux titulaires de droits de propriété industrielle de procéder avec l’aide de leur conseil à une analyse juridique approfondie de chaque situation avant d’envisager la voie d’action la plus appropriée.

La semaine prochaine : La Russie.

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