Alors même qu’ils ne sont pas encore actifs, les noms de domaine communautaires en « .eu » connaissent déjà leur premier contentieux judiciaire en France.
La SNCF, la SNCB et Eurostar ont assigné la société EUROSTAR DIAMOND TRADERS NV (EDT), diamantaires établis à Anvers, devant le Tribunal de Commerce de Paris pour obtenir en référé, d’une part le retrait d’une demande d’enregistrement du nom de domaine eurostar.eu effectuée sous priorité de sa marque EUROSTAR, d’autre part l’interdiction de transmettre ultérieurement à EURid les documents justificatifs de cette demande dans le cadre du processus de validation.
Depuis le 7 décembre 2005 en effet, tout titulaire de droits sur une marque enregistrée dans l’un au moins des Etats Membres de l’Union Européenne, peut demander l’attribution du nom de domaine identique correspondant en « .eu ». Le nom de domaine est enregistré au bénéfice du candidat dont la demande a été reçue en première position par le registre EURid, et qui a dans un délai de 40 jours transmis les documents justificatifs des droits invoqués à l’appui de cette demande pour validation.
Nous avions évoqué dans un précédent article les conditions de dépôt lors de la période appelée sunrise 1, et notamment le grand nombre de demandes soumises simultanément par des titulaires de droits…parfois concurrents.
Ainsi, le nom de domaine eurostar.eu a fait l’objet de 3 demandes différentes le 7 décembre 2005, à quelques minutes d’intervalle seulement !
La première a été effectuée par la société EDT, suivie moins de six minutes plus tard, par celle de la société EUROSTAR pour le compte du réseau ferroviaire.
Au-delà des conditions fixées par la politique d’enregistrement sunrise, c’est bien la règle du « Premier arrivé, premier servi » qui s’applique entre candidats (article 2 des règles Sunrise).
Considérant que le nom de domaine eurostar.eu serait selon toute vraisemblance attribué à EDT à l’issue de la phase de validation, les demanderesses ont choisi de contester la demande devant le Tribunal de Commerce.
Pour cela, elle soutenaient qu’une telle demande portait atteinte à un accord de coexistence conclu entre elles et EDT en septembre 2004. Cet accord, dont aucune des dispositions n’est citée dans l’ordonnance, délimitait les droits respectifs des parties sur la marque EUROSTAR.
A priori, rien ne devait empêcher la cohabitation paisible entre les exploitants du train à grande vitesse Paris-Bruxelles-Londres et le diamantaire d’Anvers. Sauf que l’accord de coexistence invoqué par les requérantes ne contenait aucune disposition relative aux noms de domaine.
Dans son ordonnance de référé du 10 janvier 2006, disponible ci-dessous, le juge relève pourtant qu’à l’époque de sa signature (2004), plusieurs noms étaient déjà enregistrés et exploités. Il convient également de rappeler qu’à cette date, le processus de création de l’extension « .eu » était engagé depuis plusieurs années et que deux règlements communautaires d’avril 2002 et 2004 y étaient entièrement consacrés.
Le magistrat déclare ne pas pouvoir « qualifier de dommage imminent, l’utilisation d’un nom que les requérantes n’ont pas jugé utile de protéger dans leur propre contrat. »
Il en conclut « que le juge des référés, juge de l’évidence, ne peut pas interpréter la volonté des parties à l’analyse du contrat de septembre 2004 (…) et ne peut que les renvoyer à mieux se pourvoir. »
Pour cela, on pense avant tout à la procédure alternative ADR, procédure spécifique de réglement des conflits de noms de domaine en « .eu », dont le principe est posé aux articles 22-1 (a) et (b) du règlement communautaire du 28 avril 2004.
La procédure ADR permet, comme l’UDRP en matière de noms de domaine génériques, de lutter contre le cybersquatting, mais son champ d’application est plus large : il est possible notamment de contester une décision d’attribution (ou de rejet) d’un nom de domaine prise par le registre EURid (Articles B1 (a) 2 et B1 (b) 10 ii des règles ADR).
Pourquoi les demanderesses n’ont-elles pas utilisé cette procédure extrajudiciaire rapide et peu couteuse ?
Sans doute parce qu’il aurait fallu attendre la décision d’attribution du nom de domaine à la société EDT.
On peut toutefois s’interroger sur l’opportunité de poursuivre l’enregistrement d’un nom de domaine avant même qu’il ne soit attribué, et surtout exploité. En effet, si l’on en croit la jurisprudence désormais constante le simple fait d’enregistrer un nom de domaine est en soi un acte neutre. Dans un récent arrêt du 13 décembre 2005, la Cour de cassation a censuré les juges du fond qui avaient retenu la contrefaçon à raison du seul enregistrement du nom de domaine locatour.com.
Surtout parce qu’en l’espèce une procédure ADR ne pourrait vraisemblablement pas aboutir, en raison des droits détenus par EDT sur la marque EUROSTAR.
Au regard des règles sunrise, l’attribution du nom de domaine au premier demandeur investi d’un droit de marque valable dans l’Union est incontestable.
On notera qu’à la date de l’audience (le 5 janvier 2006), les documents jusitificatifs des droits détenus par EDT sur la marque EUROSTAR avaient déjà été adressés à l’agent de validation (le 4 janvier 2006) , rendant « caduque » la demande d’interdiction de transmissions formulée par le réseau ferroviaire.
D’ailleurs, EURid a confirmé l’attribution du nom de domaine eurostar.eu à EDT le 23 janvier 2006, d’après les informations disponibles sur la base WHOIS officielle. Cette décision ouvre toutefois un délai de 40 jours (expirant le 3 mars 2006) permettant à un candidat déçu de contester l’enregistrement du nom de domaine. On observera donc attentivement la suite de cette affaire dans les prochaines semaines.
Reste que les enseignements de l’affaire EUROSTAR sont plus d’ordre technique que juridique : en effet, la première position occupée par la demande sunrise de la société EDT a grandement déterminé l’attribution du nom de domaine eurostar.eu à son profit.
Le choix du registrar mais surtout la stratégie active de protection de ses droits de propriété industrielle ont permis au diamantaire belge d’aller plus vite que le TGV !
Ordonnance de référé, Tribunal de commerce de Paris, 10 janvier 2006, SNCF, SNCB, Eurostar (UK) Ltd ./. société Eurostar Diamond Traders NV.
(fichier Acrobat, 255 Ko).
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