Récemment, les tribunaux français ont condamné Google dans plusieurs affaires en raison de certaines modalités du fonctionnement de son programme Adwords. Google a ainsi été condamné du fait de l’usage de marques, sans l’autorisation de leur titulaire, comme mots-clés pour l’affichage de liens commerciaux. De même Overture, qui propose un système similaire d’affichage de liens commerciaux à partir de la saisie de mots clés sur différents moteurs de recherche, a été condamné pour contrefaçon de marque (par un jugement précédemment commenté).
Un jugement du 14 décembre 2004 (Tribunal de grande instance de Nanterre) retient une fois de plus la responsabilité de Google. Mais pour la première fois on peut voir les annonceurs assignés aux cotés du prestataire de liens commerciaux et naturellement condamnés à assumer leur part de responsabilité.
Monsieur T. est titulaire d’une marque semi-figurative Eurochallenges, enregistrée pour des services d’agence matrimoniale. Avec sa licenciée la société CNRRH, il a constaté que les résultats d’une recherche sur Google portant sur « eurochallenges » comportaient des liens commerciaux pointant vers deux sites concurrents : celui de la société Tiger, franchisée parisienne de la chaîne de courtage matrimonial Unicis et le site Innaconsulting de Monsieur B. R. qui propose des rencontres avec des femmes russes et ukrainiennes.
Les juges rejettent (une fois encore) la défense de Google qui consiste à invoquer le régime de responsabilité allégée des prestataires techniques de stockage. Ce régime ne peut en effet s’appliquer, selon la décision, à l’activité de régie publicitaire qu’exerce Google à coté de son activité de moteur de recherche, ici hors de cause.
Responsabilité de Google
En complément des mots clés réservés par l’annonceur, Google propose une liste, établie automatiquement, de termes correspondant aux requêtes que les internautes effectuent le plus fréquemment sur son moteur. Le tribunal, qui constate que dans cette liste figurait entre autres le mot « eurochallenges », considère que Google a suggéré l’emploi de ce terme comme mot clé et a donc « une part active dans le processus ».
Pour autant, le tribunal admet que « la société Google ne peut pas en pratique contrôler que les mots clés spontanément choisis par ses clients sont des marques protégées » dans le domaine d’activité considéré.
Selon les juges, il ne peut être valablement soutenu que Google ne procède à aucun usage de la marque litigieuse pour désigner des services d’agences matrimoniale. Il est également indifférent « que la marque n’apparaisse pas telle quelle dès lors qu’elle est clairement utilisée pour faire apparaître les sites commerciaux sur la page de recherche. »
Et toujours selon le jugement, si « la souscription au programme Adwords est entièrement automatisée, ce point n’a pas d’influence sur l’existence de la contrefaçon puisque la bonne foi est indifférente en la matière. De plus, l’automatisation du système est un choix économique de Google et ne peut servir de justification à une absence totale de contrôle conduisant à un acte de contrefaçon. »
Mais c’est aussi, comme dans l’affaire Lutéciel, le système des requêtes larges (ou broadmatch) élaboré par Google qui est sur la sellette. En effet, le tribunal retient qu’il y a bien suggestion par Google d’utiliser la marque litigieuse comme mot clé dans la mesure où « cette marque était proposée comme mot clé similaire en ‘requête large’ aux clients commerciaux potentiels ayant sélectionné le mot clé ‘rencontre’. La marque est donc bien proposée par Google et non choisie par le client seul ».
Google fait également valoir pour sa défense que « sa rémunération n’est pas fonction du choix des mots clés par les exploitants des sites incriminés ». Au contraire, le tribunal considère que « (l)’intérêt financier de Google est de provoquer un important nombre de clics sur des liens commerciaux et que ce nombre de clics va dépendre du nombre de mots clés sélectionnés par les exploitants ainsi que leur pertinence. Google est donc bien indirectement rémunéré en fonction du choix des mots clés sélectionnés par les clients. »
Modalités de reproduction de la marque
Au sein de la marque invoqué, le terme Eurochallenges est associé à un logo. Google soutient qu’il n’y a pas eu reproduction de la marque au sens de l’article L. 713-2 du Code de la propriété intellectuelle, puisque la partie figurative de la marque n’était pas reprise.
L’argument est écarté. Selon les juges, « (s)eules les lettres peuvent être référencées dans un moteur de recherche et non les dessins. Un mot clé est par définition dénué de tout aspect figuratif, les utilisateurs ne pouvant reproduire la partie figurative de la marque dans le champ de recherche. ».
[On observera que, s’il est parfaitement exact que la recherche ne peut être effectuée à partir d’un élément figuratif, le moteur de recherche Google indexe des images, qu’il est possible de retrouver par la saisie de mots clés.]
Pas d’application au programme Adwords du régime allégé de responsabilité propre aux hébergeurs
Comme dans les autres affaires portant sur l’usage des marques d’autrui dans le programme Adwords, le point essentiel de la défense de Google repose sur la qualification de son activité. Google soutient ne pas être soumis à une obligation générale de surveillance mais « à une simple obligation de diligence afin de faire cesser le trouble, une fois informé de la situation », invoquant le régime de responsabilité allégé favorable aux hébergeurs (article 14 de la Directive sur le commerce électronique, transposé à l’article 6 alinéa 2 de la LCEN).
Pour le tribunal, ce régime n’est pas applicable à Google et à ses agissements en l’espèce.
En effet, si pour l’activité de moteur de recherche effectivement aucun contrôle sur le contenu des informations ne peut être imposé à la société Google, en revanche « pour ce qui est de son activité ‘Adwords’ soit la fourniture d’espace publicitaire, elle agit en tant que régie publicitaire et non en tant que prestataire purement technique de services. Elle a un rôle actif en proposant à ses clients une liste de mots clés dont la finalité est de susciter de nombreuses visites sur leur site commercial et d’augmenter ainsi sa rétribution. Elle pourrait tout à fait exercer un contrôle de ses propres prestations notamment dans la sélection de mots clés qu’elle propose et dont elle établit la liste, même automatiquement. C’est Google qui a conçu le système de mots clés et l’élaboration automatique de la liste des mots le plus souvent tapés en liaison avec la recherche. »
Une réaction prompte permet toutefois à Google de limiter le dommage subi par les demandeurs en raison de l’usage illicite de la marque en cause.
Avant d’engager une action judiciaire, la société CNRRH avait averti Google en juin 2003 de l’usage non autorisé de la marque Eurochallenges. Cette intervention lui avait permis d’obtenir la désactivation de ce terme pour l’affichage des annonces de Monsieur B.R. au profit du site Innaconsulting. Toutefois, ce terme a ensuite pu être réservé par la société Tiger. Quelques semaines après avoir été assigné, Google a alors supprimé le terme Eurochallenge de son générateur de mots clés.
Tenant compte de ces diligences, le tribunal limite à 10 000 euros le montant du préjudice résultant des actes de contrefaçon imputables à Google.
Responsabilité des annonceurs
Ayant « délibérément choisi le marque d’un concurrent, Eurochallenges, pour attirer d’éventuels clients », la société Tiger et Monsieur B. R. ne peuvent échapper à leur responsabilité à l’égard des demandeurs ni demander à Google de les garantir des condamnations.
Le tribunal condamne donc les annonceurs pour contrefaçon de la marque Eurochallenges et concurrence déloyale.
Protection du nom de domaine par l’action en concurrence déloyale
On notera que la société CNRRH a pu également faire valoir, à l’égard des annonceurs, des droits sur son nom de domaine eurochallenges.com par l’action en concurrence déloyale.
Le tribunal confirme ainsi implicitement que le nom de domaine bénéficie d’une protection juridique en tant que signe distinctif.
Sanctions
Le tribunal ordonne la publication par extrait du jugement ainsi que le paiement, assorti de l’exécution provisoire, de dommages et intérêts.
Ces montants sont assumés pour partie individuellement par chaque défendeur et pour partie in solidum entre Google et chacun des annonceurs :
- Google France est condamné à payer 10.000 euros à la société CNRRH au titre de la contrefaçon,
- B. R. et Google sont condamnés à payer in solidum 2.500 euros à P. T. au titre de la contrefaçon
- Tiger et Google sont condamnés à payer in solidum 5.000 euros à P. T. au titre de la contrefaçon
- B. R. est condamné à payer 2.500 euros à CNRRH au titre de la concurrence déloyale
- Tiger est condamné à payer 5.000 euros à CNRRH au titre de la concurrence déloyale
Télécharger le jugement :
TGI Nanterre, 14 décembre 2004, CNRRH, P.T. / Google France, Tiger, B.T. (Innaconsulting) ;
(fichier Acrobat, 1,02 Mo)
3 pings
[…] mon billet de l’époque sur Vox PI et le bon lien pour télécharger le facsimilé du jugement (le lien de Vox PI étant obsolète) ; […]
[…] mon billet de l’époque sur Vox PI et le bon lien pour télécharger le facsimilé du jugement (le lien de Vox PI étant obsolète) ; […]
[…] Le jugement intervenu en première instance avait été publié sur Vox PI. […]